Oh oui l'anglais est riche, précis, technique souvent, et plus concret que le français non seulement sur le plan du vocabulaire mais en ce qu'il préfère décrire par des tournures verbales plutôt que d'en retirer l'idée abstraite dans un substantif comme le fait le français.
Ce que j'ai voulu dire, c'est que l'anglais est la langue des anglais depuis bien plus longtemps que le français est la langue des français, et même que l'anglais, mélange de saxon (langue plutôt paysanne), d'un fond germanique et d'ancien français, est la langue des anglais depuis que les anglais existent, et qu'il a évolué avec eux. Ce n'est pas une opinion. C'est de l'Histoire. C'est à admettre. (Bien qu'un philosophe vous dira avec raison que l'histoire ne peut pas être objective et figée... mais ce n'est pas le sujet.)
L'appauvrissement de l'anglais et celui du français sont incomparables, si tant est qu'on puisse dire que l'anglais s'appauvrisse.
Le français est une langue académique. Fait rare. L'évolution du français ressemble de manière tout à fait frappante à celle de... l'espéranto. Ce vous surprend ? Si vous le demandez, je peux le soutenir.
Quand je dis que l'anglais a moins de niveau de langue, je n'en soulève pas une faiblesse. Tenez ce qu'en dit Duneton : je le cite souvent car c'est lui qui m'a dessillé, avant j'affichais un mépris noir pour la populace qui salissait la langue, j'ai radicalement changé d'avis. Et mon écriture avec. J'étais en train d'académiser mon expression... Maintenant, je veux que ma langue soit épaisse. Ce que dit Duneton à propos de l'anglais, donc... Propos peut-être surannés mais qui expliquent la situation actuelle.
Longue citation, n'est-ce pas ?... Ce n'est plus exactement la situation d'aujourd'hui mais c'est un brillant éclairage.Un dictionnaire anglais ne distingue que trois niveaux de langue (hormis les termes purement poétiques) : le niveau général, le niveau familier (colloquial), et le niveau argotique (slang). Un dictionnaire français est beaucoup plus subtil : il distingue en dessous du niveau général - "familiers", "populaires", "argotiques" et "vulgaires". Que l'on compare des termes comme colloquial, qui veut dire "utilisé dans la conversation ordinaire" et populaire, "à l'usage du peuple", et l'on peut facilement se rendre compte de l'état d'esprit qui préside à la classification des mots est sensiblement différent dans les deux langues.
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Il en résulte pour la langue anglaise une sorte de chaleur, une bonhomie, une complicité dans l'expression que la langue française est loin de partager. [...] Si quelqu'un dit en Angleterre une phrase simple comme : "I went home and had my tea", tout le monde comprend immédiatement ce qu'il veut dire par là. On saisit non seulement la nature de l'action elle-même, mais ses circonstances concrètes, et je dirai aussi l'état psychologique qu'une telle action suppose chez l'individu. Cela signifie précisément que le personnage en question est rentré chez lui vers cinq, six heures, qu'il s'est mis à l'aise, s'est installé dans la salle à manger, soit seul, soit en famille, et qu'il a pris tranquillement un repas léger, dont le menu lui est habituel, en buvant de trois à cinq tasses de thé au lait bien chaud, ce qui lui as permis de se détendre, de se délasser en toute quiétude au moins pendant ces précieux instants domestiques. Ce qui est très important aussi c'est que la description que je viens de donner est valable du haut en bas de l'échelle sociale anglaise. "I went home and I hade my tea" peut être dit dans les mêmes termes, avec le même contenu général, la même charge psychologique, aussi bien par un avocat que par un mineur de fond, un député, le Premier ministre, un ouvrier agricole, une femme de ménage, un employé de banque ou un patron, un artiste, un écolier... [...] Une telle phrase constitue en réalité une allusion à un fait de civilisation commun à l'ensemble d'une nation. Elle est chargée de connivence dans la mesure où elle est non seulement comprise dans l'instant par n'importe quel auditeur britannique, mais qu'elle transporte une expérience qui se réfère à une expérience vécue de la même façon par cet auditeur. Cette notion de connivence me paraît être une caractéristique essentielle de la langue anglaise, et on pourrait la définir comme étant une forme supérieure de l'allusion ; c'est, à mon avis, ce qui contribue à donner à cette langue sa chaleur humaine et communicative.
On voit tout de suite qu'une telle phrase est impossible à traduire en français, si "Je suis rentré chez moi et j'ai pris le thé" peut avoir une signification précise pour quelques individus, cela ne veut rigoureusement rien dire pour l'ensemble de la nation. Il faudra jongler avec les mille nuances qui peuvent exister entre des phrases qui vont de "J'ai fait un petit casse-croûte" à "J'ai pris une légère collation". En tout état de cause, il n'y aucune connivence possible.
On me dira que je prends là un exemple extrême, que cette histoire de thé n'existe pas en France, mais que l'on peut avoir des équivalences avec d'autres traits de civilisations... Oui. Lesquels ? Le vin, boisson commune des français ? Certes, mais "J'ai bu un verre de vin rouge" est une chose, "J'ai bu un coup de rouge" en est une autre. En Auvergne, une phrase telle que "On boit un petit canon ?" est une connivence, mais en Auvergne seulement - et certains de nos hommes d'Etat ont beau être auvergnats je ne pense pas qu'on "boive un petit canon" à l'Elysée. Plus loin, Duneton montre comment il n'y a pas une façon générique de traduire "Whe shot two, but then stopped" (qui en anglais peut être dit et écrit par tous et partout)... car il y aura "Nous en tuâmes deux, mais jugeâmes ensuite prudent de nous arrêter", "on en a descendu deux mais alors on s'est arrêtés" "on en a tué deux quand même... mais on s'est arrêté de tirer..."
Et dernière remarque :
Dans l'anglais moderne, ce qui le pollue c'est les grands mots d'étymologie latine, surtout quand il y a un court mot bien anglo-saxon qui veut dire la même chose. La beauté de l'anglais, c'est ses mots courts, ses diphtongues chaudes, ses consonnes...